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NAVIRES

LA GRANDE PÊCHE

ASSOCIATION FÉCAMP TERRE-NEUVE
Naufrage du trois-mâts russe Finland le 29 janvier 1892

Le jeudi 28 janvier 1892, le trois-mâts russe Finland, chargé de mille trois-cent tonneaux de bois de pitchpin pour le compte de la maison Charles Limare, arrive en rade de Fécamp. Deux aspirant-pilotes sont désignés pour aller le "rentrer" avec le remorqueur, mais tous deux de dérobent pour différents motifs. Le vendredi 29, au matin, il attend toujours qu'un pilote sorte pour l'assister mais le vent forcit et le mauvais temps s'installe en Manche ; le vent souffle en tempête, levant une mer qui roule furieusement avec des crinières d'écume à la cime des vagues. Le pilote ne se montrant toujours pas, après vingt-quatre heures d'attente inutile, à la marée montante, le capitaine pense que le moment propice est arrivé et se décide à rentrer au port et tente seul l'accès au chenal.

Le Finland est poussé par le courant de marée et une mer en furie, le capitaine est à côté de l'homme de barre à qui il martèle ses instructions pour présenter le Finland entre les deux jetées. Le trois-mâts donne dans la passe, juste au moment où le pilote sortait pour aller le "servir", quand une énorme vague le jette sur la jetée Nord, il heurte le musoir, tournoye sur lui-même et quelques secondes plus tard, file vers la côte sous le cap Fagnet. Très vite il talonne et, dans un mouvement spectaculaire, s'abat sur la plage. Incliné dans cette position d'échouage, le Finland reçoit par dizaines les lames furieuses qui déferlent, des gerbes d'écume s'accrochant par lambeaux à sa mâture.

À terre, un homme qui a suivi la scène court au bout de la jetée pour donner l'alerte faisant sonner à toute volée la cloche d'alarme dont l'écho, porté par le vent, résonne le long de la falaise et balaie la ville. De tous côtés, un nombre impressionnant de sauveteurs arrrivent, dont les équipages du canot Notre-Dame du Salut et de la baleinière Olivier Moisy.

M. Constantin, le président du comité local de sauvetage, appelle Onésime Cuvilliez, le patron de la baleinière : "Dis donc, Onésime, je vois que tous les gars sont en train d'enfiler leurs ceintures de sauvetage, mais je me demande s'il est raisonnable de tenter d'accoster le navire par la mer".
"Vous savez, Monsieur Constantin, la marée monte. Alors il ne faut pas traîner. Si vous pensez qu'on ne va pas réussir avec les canots, il faut tenter le tout pour le tout par le pied de la falaise".

"Je pars prévenir les douaniers pour qu'il sortent le canon porte-amarre (…)", dit M. Constantin, "Moi j'emmène Onésime Frébourg, Jean-Baptiste Gournay et Edouard Levasseur", répond Cuvilliez.

Pendant que chacun repart donner ses ordres, la mer monte toujours. Les gabelous appelés par M. Constantin se relaient avec le canon lance-amarre porté sur un brancard, leur marche n'est guère aisée sur les gros galets ronds qui font la particularité de cette côte. Dans leurs souliers cloutés, ils avancent en lâchant une bordée de jurons à chaque pas. Arrivés à la hauteur du trois-mâts, ils mettent leur matériel en batterie, au premier coup ils font mouche : une ligne parvient à bord puis un câble. De la grève, on aperçoit l'équipage rassemblé au pied du mât d'artimon, personne ne bouge, transi de froid et de peur. Chacun reste dans son coin, craignant qu'un coup de mer ne l'enlève.

"Ce n'est pas comme ça qu'on va établir le va-et-vient !", tonne Édouard Levasseur qui vient d'arriver avec ses camarades : "J'y vais !". Sans hésiter un instant, Levasseur saisit le câble et en s'aidant des pieds et des mains parcourt, dans une mer furieuse, la distance qui sépare le navire de la falaise. Dix fois on le croit disparu : "C'est vrai que s'il lâche, il est perdu !", murmure Simon Duhamel un maître au cabotage qui a rejoint l'équipe des sauveteurs. Onésime Cuvilliez mesure bien tous les risques qu'il prend ; un faux mouvement, un coup de vent, il tombe et se brise sur les rochers qui apparaissent entre deux rouleaux. Levasseur tient bon et arrive au Finland, mais lancer le câble aux hommes du navire n'est pas facile. Trois autres sauveteurs de Fécamp tentent de l'aider : Onésime Frébourg, Bénoni Cuvilliez et Roussel, il faut être d'une trempe exceptionnelle pour prendre un bain un 29 janvier à Fécamp. Frébourg, au moment où il allait se saisir des cadènes des haubans du grand mât, est rejeté sur l'avant par une vague énorme, Roussel est blessé à la jambre et le courant le pousse vers le Trou au chien. Onésime Cuvilliez et Jean-Baptiste Gournay, qui ont suivi toute la scène, savent, en un éclair, ce qu'il leur reste à faire ; eux aussi se mettent dans l'eau glacée pour récupérer leur camarade et le déposent complètement épuisé sur la grève.

Pendant ce temps, Levasseur a réussi ; il a installé solidement le va-et-vient et le sauvetage peut commencer. Un à un, les membres de l'équipage sont évacués, en commençant d'abord par la femme du capitaine. Le sauvetage se termine quand les deux derniers passagers sont évacués ensemble, c'est le capitaine et sa petite-fille de trois ans. Le capitaine prend place dans la bouée-culotte, le sauveteur de Fécamp lui tend son enfant, il fait un signe et les voilà partis. Sur la grève, les sauveteurs font leur devoir, mais Levasseur ne quitte pas des yeux ce capitaine russe et son enfant. Levasseur peut à son tour s'installer sur le va-et-vient, il est le dernier à quitter le trois-mâts dont la coque gémit à chaque paquet de mer. Les neuf menbres d'équipage du Finland, le capitaine Bostram, sa femme et leur petite fille sont sauvés, mais le navire est perdu.

Le 18 mai 1893, en présence du préfet et du sous-préfet, les braves reçoivent leurs médailles et leurs diplômes, il ne manque qu'Édouard Levasseur qui, depuis mars, est embarqué comme subrécargue sur le trois-mâts Mésange armé pour les bancs de Terre-Neuve. Une véritable ovation est faite à Madame Levasseur lorsque, sur l'invitation du préfet, elle vient recevoir la médaille d'or du baron Jules Cloquet décernée à son mari. Son cœur de pauvre femme de terre-neuvas se met à battre la chamade : "Que fait-elle ici, au milieu de tous ces bourgeois et de tous ces beaux messieurs endimanchés ?". Elle témoigne simplement que ces gens simples, si courageux dans les brumes de Terre-Neuve, savent l'être encore de retour au pays ; sa médaille à la main, des larmes coulent sur son visage, émotion bien facile à comprendre.


Sources :
- Charles Pollet, Éphémérides fécampoises. Imprimeries Réunies L. Durand et Fils, Fécamp , 1914.
- Michel Giard, Sauveteurs de Normandie. Éditions Charles Corlet, Condé sur Noirot, 1991. p. 70 à 76.
- Léopold Soublin, Cent ans de pêche à Terre-Neuve. Éditiond Henri Veyrier, Paris 1991. p. 840.
Le Finland, maquette ex-voto réalisée dans le bois de l'épave
et offerte par le capitaine à Édouard Levasseur, son sauveteur.
Musée des Terre-Neuvas, don des petits-fils de Édouard Levasseur, 1992
Etienne Bernet / © Édition Association Fécamp Terre-Neuve
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