La pêche en doris

La pêche à la morue au temps de la voile

De l'aventure à l'industrie

Nicolas Selles, premier grand armateur morutier fécampois, est connu par le procès qui l’oppose à l’Abbaye en 1561 : rentrant de Terre-Neuve avec un chargement de 70 000 morues, il refuse de payer les taxes ou « droits de coutume » réclamées par les moines. Au bout de 14 longues années de procès, Nicolas Selles sera condamné à payer les taxes dues à l’Abbaye et une forte amende.

En 1627, il y avait à Fécamp 18 à 20 vaisseaux « qui sont tous les ans à la pesche des morues sur les bancs de Terre-Neufve ».
Les guerres de Louis XIV brisent cet essor, qui reprendra progressivement au 18ème siècle. Lors d’un dénombrement effectué en 1764, sur les 36 navires à quai, 6 sont armés pour le commerce des îles (Cayenne, Antilles), 12 pour le cabotage, 2 pour Terre-Neuve et 16 pour le hareng et le maquereau (archives de Fécamp).

À la veille de la Révolution, 14 navires fécampois sont armés pour la pêche morutière sur les bancs de Terre-Neuve. À cette époque, la morue est pêchée avec de simples lignes à mains, directement filées à partir du bord du navire par les marins installés dans des tonneaux, à l’extérieur du bastingage.

En 1789, le capitaine dieppois Sabot eut le premier l’idée de remplacer ces lignes à mains par des lignes dormantes ou lignes de fond. Appelées aussi « harouelles », ces lignes très longues étaient garnies d’un grand nombre d’hameçons et tendues au fond de l’eau par des plombs.
D’un rendement supérieur, cette nouvelle méthode fut d’abord décriée car jugée dangereuse pour les matelots et ne s’imposa définitivement que vers 1830-1840. En effet, pour déposer les lignes et les relever, on utilise deux lourdes chaloupes longues de 8 m environ, montées par un équipage de 6 à 8 hommes. Encombrantes et difficiles à manier, elles peuvent être terriblement meurtrières : en cas de perte, c’est en effet près de la moitié de l’équipage qui disparaît d’un seul coup !

La pêche au temps des doris

En 1876, des capitaines fécampois ramènent de Terre-Neuve quelques exemplaires de doris, petite embarcation à fond plat, construite à clins, qu’utilisent les goélettes américaines. Dès 1877, quatre armateurs décident de l’essayer. Ses qualités s’avèrent si grandes que, quatre ans plus tard, l’ensemble de la flotte morutière en est équipé.

L’utilisation du doris présente de nombreux avantages :
Ne mesurant que 6 mètres, le doris est léger, empilable et aisément transportable. Sa mise à l’eau quotidienne, afin d’aller tendre les lignes de fond puis les relever, et son remontage à bord du voilier pour la nuit, s’en trouvent facilités.
Au temps des chaloupes, deux seules lignes de fond étaient mise à l’eau. L’utilisation de doris, au nombre d’une douzaine par navire, élargit considérablement le territoire de pêche et accroît la production morutière.
Lorsqu’une chaloupe était perdue, c’était un équipage de 8 hommes qui disparaissait. Avec deux hommes par doris, le risque se trouve minimisé.
Sa forme simple est adaptée à une production industrielle. Des centaines de doris sont en effet construits chaque année, la législation imposant de les changer après deux campagnes sur les bancs.

La pêche en doris : deux tirages au sort avaient lieu sur le navire : le premier, juste après le départ de Fécamp, pour l’attribution des doris à chaque équipage ; le second, sur les bancs, pour la répartition des « aires de vent », position des doris par rapport au voilier. « …puis les dorissiers tirèrent au sort leur aire de vent. La rose était divisée en douze sections égales, l’un recevait le nord, un autre le nord-est, etc… Chacun de son côté, telle était la règle invariable. » (Marcel Ledun, 1963)
Après avoir « boëtté », c’est à dire pêché le bulot, principal appât de la morue, les hommes partaient à bord des doris en fin d’après-midi pendant plusieurs heures pour poser les lignes dans les aires de vents.
« L’aventure des dorissiers étaient quotidiennement une aventure dangereuse. Ils n’étaient jamais plus de deux à bord : le patron et son « avant ». Parfois, les hommes devaient ramer 2, 3 ou 4 heures entières dans un milieu particulièrement hostile : tempêtes, iceberg, cachalots, et surtout... la brume, si dense que du bord on ne voyait même pas les hautes vergues ; le tintement de la cloche était la seule sécurité des dorissiers sur la route du retour. (...) Il arrivait par fort vent contraire que le tintement ne fût pas entendu. (...) La plupart des pêcheurs qui ne sont jamais revenus de Terre-Neuve ont péri de cette façon ». (Marcel Ledun, 1963)

À l’aube, les pêcheurs quittaient à nouveau le navire pour le relevage des lignes qui durait 4 à 6 heures, suivant l’état de la mer. Ils entassaient les morues dans chaque doris, souvent au risque de le faire chavirer ! Revenus près du voilier, les dorissiers jetaient les poissons sur le pont du navire à l’aide d’un piqueux, bâton terminé d’une pique. Commençait ensuite le travail du poisson...

Marie-Hélène Desjardins
Conservateur du musée des Terre-Neuvas & de la pêche.
© Musée des Terre-Neuvas de Fécamp.

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Pour en savoir plus : M-H Desjardins (dir.) Doris-doris, Musée de Fécamp, 2002