Le traité d’Utrecht

2013 - Troisième centenaire de la signature du traité d'Utrecht

Le 11 avril 1713, la France et l’Angleterre signent le Traité d'Utrecht. En 1712, la France de Louis XIV est en guerre, elle a contre elle, au nord, la Grande-Alliance regroupant la Grande-Bretagne, la Hollande, le Portugal, la Prusse et la Savoie, au sud l'Espagne. C’est la victoire du maréchal de Villars à la bataille de Denain, le 24 juillet 1712, qui lui permet de reprendre l'initiative stratégique et lui permet de négocier in extremis des conditions convenables.

Ce sont en fait deux traités qui sont signés à Utrecht en 1713. Le premier, le 11 avril, entre le royaume de France et le royaume de Grande-Bretagne, le second, le 13 juillet, entre l'Espagne et la Grande-Bretagne. Ces deux traités, avec ceux de Bade et de Rastadt, en 1714, mettent fin à la guerre de succession d'Espagne (1701-1714).Au terme de ces traités, Philippe V conserve la couronne d'Espagne, mais renonce à celle de France. Louis XIV accepte la succession protestante en Angleterre et fait reconnaître par l'Espagne la possession de Gibraltar et de Minorque par les Anglais, lui-même cédant à ces derniers l'île de Saint-Christophe, la baie d'Hudson, l'Acadie, Terre-Neuve et les îles Saint-Pierre et Miquelon.

Il est intéressant de noter que les traités, dit « Traité d’Utrecht » sont le premier rédigé en français, inaugurant la primauté du français comme langue diplomatique. Le rayonnement culturel de la France, introduit sous Louis XIV, n'en est qu'à ses débuts ; cela durera jusqu'au traité de Versailles, en 1919.

Les clauses du traité du 11 avril, essentiel pour l’histoire de la grande pêche, sont très étendues. Sans entrer plus dans les détails, ce sont les articles XIII et XIV, intéressant l’Amérique du Nord, qui nous concernent. Par l’article XIII, la France cède à la Grande-Bretagne l’Acadie péninsulaire (la Nouvelle-Écosse), et les îles de Saint-Pierre et Miquelon, mais conserve l'île Saint-Jean (aujourd'hui l'île du Prince-Édouard), et l'île de Cap-Breton (anciennement l'île Royale), Quant à l’île de Terre-Neuve et la baie d’Hudson, Louis XIV ne peut les céder puisque ces territoires n'appartenaient pas à la France ; il ne fait que confirmer leur possession aux Anglais.

Mais, en confirmant la possession de Terre-Neuve aux Anglais, le traité les rendait maîtres de Plaisance, ville occupée par une population française, d'où ils furent chassés. La plupart d’entre eux émigrèrent au Cap-Breton où ils furent rejoints par les réfugiés venus d'Acadie. Ils formèrent alors le premier noyau de la population de Louisbourg, qui deviendra une grande forteresse et le centre des pêcheries françaises du nouveau monde pendant un demi-siècle. Le port accueille alors chaque année des navires marchands de la France, des Antilles, des colonies anglaises d'Amérique, de l'Acadie et de Québec. Des pêcheurs basques, bretons et normands y pratiquent la pêche, et la population sédentaire atteint rapidement 2000 habitants, 4000 dans les années 1750. Le modeste établissement français de Plaisance vidé de sa population fut laissé à l'abandon.

Si l'article XIII du traité conserve aux Français l'île Saint-Jean et l'île de Cap-Breton, il lui accorde également un droit exclusif : « (…) de prendre du poisson et de le sécher à terre », sur une partie importante du littoral septentrionale de l'île de Terre-Neuve, dite « Côte française de Terre-Neuve », du cap Bonavista à la Pointe Riche. Cette zone exclusive de pêche prendra plus tard le nom de French-shore. Pendant deux siècles, cet article XIII sera le sujet de graves discordes occasionnant de nombreux conflits, mais la France n’abandonnera ce droit qu’en 1904.

Quant au territoire du Nouveau-Brunswick, il fut âprement disputé entre les Britanniques et les Français. L'Angleterre soutenait que, d'après l'article XII du traité, ce territoire était inclus dans l'Acadie conformément à ses anciennes limites. La France refusait une telle interprétation, se référant aux termes de cet article rédigé comme suit : « (…) le roi très chrétien devra livrer à la reine de la Grande-Bretagne la Nouvelle-Écosse ou l'Acadie entière, comprise dans ses anciennes limites, et aussi la cité de Port-Royal, maintenant Annapolis-Royal ... et ensemble tout ce qui dépend des dites terres et îles de ce pays ».

Au sujet de l’Acadie, principalement des Acadiens, l'article XIV précisait que : « Les sujets dudit roi auront la liberté de se retirer ailleurs dans l'espace d'un an, en emportant leurs effets mobiliers (...). Ceux qui voudront être sujets du roi d'Angleterre jouiront du libre exercice de leur religion selon l'usage de l'Église romaine, autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne (…) ». Cette liberté fut de courte durée, les Britanniques se montrèrent conciliants tant qu'ils ne purent peupler l'Acadie de colons anglais.

Le French Shore

L’existence proprement dite du French Shore commence cinquante ans plus tard avec le traité de Paris, du 10 février 1763, mettant fin à la guerre de Sept ans, consacrant la victoire de l'Angleterre sur la France et l'Espagne. Par ce traité, la France perd la plus grande partie de son empire colonial dont Québec et la nouvelle France. Mais aussi, par ce traité, l'Angleterre nous restitue les îles Saint-Pierre et Miquelon, et par son article V confirme nos droits exclusifs de pêche sur la côte septentrionale de l'île de Terre-Neuve, prescrivant que : « Les sujets de la France auront la liberté de la pêche et de la sécherie sur une partie des côtes de l'île de Terre-Neuve telle que spécifiée par l'article XIII du traité d'Utrecht (…) ». C’est alors que cette zone de pêche prend le nom de French Shore ; où les pêcheurs français pratiquant la pêche dite « sédentaire ».

Mais, vingt ans plus tard, le traité de Versailles du 3 septembre 1783 en modifie les limites ; la partie comprise entre le cap Bonavista et le cap Saint-Jean passe dans le domaine des Anglais, qui nous accorde en échange toute la partie inférieure de la côte occidentale, depuis le cap Saint-Jean jusqu'au cap Raye, en passant par le Nord. Dix ans plus tard, en 1793, les Anglais en guerre contre la France républicaine occupent à nouveau les îles Saint-Pierre et Miquelon, et pendant les guerres d’Empire les Terre-neuviens s’installent durablement sur le French Shore où les pêcheurs français ne peuvent plus se rendre. En 1814, les traités de Paris, mettant fin aux guerres d’Empire, nous restituent très explicitement les droits de « pêche exclusive » sur les côtes de Terre-Neuve, mais le commandant Bourrilhon envoyé sur le French Shore pour reconnaître les lieux n’y retrouve aucun vestige de nos établissements.

© Tanya Saunders, Newfoundland and Labrador Heritage
© Tanya Saunders, Newfoundland and Labrador Heritage

Le 22 juin 1816, les îles Saint-Pierre et Miquelon nous sont officiellement restituées. Dans la matinée, la corvette Hazard, de sa majesté Britannique, commandée par sir Cookesley, venant d’Halifax arrive à Saint-Pierre. Le capitaine Ollivier, commandant la frégate française Revanche envoie un de ses officiers à bord et, deux heures après, le commandant anglais vient à son tour sur le bâtiment français. Après s’être communiqué mutuellement leurs pouvoirs, Jean-Philippe Bourrilhon et le capitaine Cookesley décident que la remise de la colonie aura lieu à bord de la corvette anglaise. Au moment de l’échange des actes de restitution, en présence de David Buckan gouverneur anglais, les deux navires saluent de vingt-et-un coups de canons les pavillons anglais et français puis, le pavillon anglais est amené ; tout fut terminé aux cris de « Vive le roi ». Jean-Philippe Bourrilhon, nouveau gouverneur des îles, put alors écrire au ministre : « Monseigneur, je suis enfin assez heureux de pouvoir annoncer à votre excellence que le pavillon blanc flotte sur les îles Saint-Pierre et Miquelon (…) ».

En dépit de cela, sur le French Shore, les conflits reprennent entre la population autochtone et les pêcheurs granvillais et malouins qui migraient en masse chaque année vers les lieux de pêche qui nous étaient consentis, cette pratique de la pêche sédentaire allant toutefois en diminuant d'importance d'année en année.

En 1898, M. Chamberlain met en place une commission qui établit que le French Shore est habité par des sujets anglais et par trente français seulement, et que, même pendant la saison de pêche, il n'y a pas plus de trois cent cinquante Français sur les grâves. Plus la France a négligé de confirmer ses droits par une présence effective, plus les Terre-neuviens ont accaparé les graves et lieux de pêche et nié la légitimités de la France. C'est ce qu'ont bien compris les armateurs français à la Grande pêche qui s'émeuvent de la désolation du French Shore et de l'abandon de ces baies très poissonneuses. En 1898, baptisés pour l’occasion « armateurs patriotes », ils acceptent d'armer, en commun, quelques navires pour le French Shore, afin d'y affirmer par l'action, les droits de la France. (voir communication à paraître in Actes des Ve Journées d’histoire de la Grande Pêche, Fécamp, 2012.

Le tracé du French Shore ne sera plus changé jusqu’à l’abandon de ces zones de pêche par la France, un siècle plus tard, le 8 avril 1904, dans le cadre de « L'Entente Cordiale » avec l'Angleterre.

Etienne Bernet